Too Much Flesh est un film de Pascal ARNOLD et Jean-Marc BARR et avec Elodie BOUCHEZ comme actrice. Il s'inscrit, certes avec des moyens beaucoup plus modestes, dans la lignée de quelques grands films qui peignent les rapports difficiles entre la Société, la vie sexuelle et la vie individuelle. C'est un film qui illustre la tentative de passage initiatique d'un paysan et les réactions de la société villageoise de Rankin.
Dans les publicités de lancement du film, les auteurs résument ainsi leur œuvre.
"Sous le soleil des champs de maïs, sur une musique qui plane, sous un soleil qui tape, un homme est nu dans un champ de maïs. C'est Lyle, sur ses terres du Midwest. Lyle a 40 ans, il est marié mais n'a pas consommé. Il a un problème de taille, la rumeur dit qu'il a "trop de chair", "too much flesh". Mais voilà, Vernon, l'ami d'enfance de Lyle revient d'Europe. Il est écrivain, il est un extraterrestre dans l'Amérique de Rankin, Illinois. Et Vernon n'est pas seul : il rentre au pays avec Juliette, une jeune française, libre de sa vie et de ses choix. Juliette a la surprise de découvrir que Vernon est homosexuel et dès lors elle fait la cour à Lyle qu’elle initie à la sexualité. Il découvre une liberté nouvelle. Mais cette sexualité devient provocation. Rankin ne supporte pas l'adultère et réagit violemment. "(…)"Surtout quand la liberté de Lyle et de Juliette gagne du terrain, quand elle conquiert aussi le jeune Bert, qui s'initie au plaisir charnel. La tension monte, la menace se précise. Un regard lancé, une poursuite en voiture, le piège se resserre. Lors de la fête de la moisson, Lyle est encerclé par les hommes du village, il s'enfuit à toutes jambes dans les champs de maïs." On le rattrapera pour sa mise à mort sacrificielle.
Les groupes
fonctionnent à des niveaux psy plus ou moins évolués.
Too Much Flesh nous conte d'abord l'histoire d'une société donnée, celle du village de Rankin dans l'Illinois profond. La vie sociale s'y impose et prime sur la vie individuelle, même dans la vie la plus quotidienne.
Tout comme les individus, les sociétés
sont plus ou moins évoluées psychologiquement. Tous les groupes sont à des
niveaux différents. Après Freud, on a souvent décrit ces niveaux
d'évolution par les termes suivants : cannibalique, cosmique,
animiste, religieuse, polythéiste, monothéiste, (puis trinitaire
?), puis politique et enfin
avec une vie sociale qui laisse s'épanouir la vie individuelle
par la démocratie et la laïcité. Le niveau psychologique d'un
groupe est fonction du niveau moyen d'évolution de ses
individus. La vie individuelle n'est possible qu'à partir d'un
certain niveau d'évolution sociale mais ce n'est pas le cas à
Rankin.
Le film nous montre comment, à Rankin, la pureté et le conformisme moral font la Foi et la Loi. Le groupe villageois se conforme à un schéma virtuel qui n'existe que dans l'imaginaire et chacun doit se plier à ce schéma d'où découle la Loi (et sa Morale) et la Foi. En psychanalyse, on dit que la Loi découle du Surmoi et que la Foi découle de L'Idéal.
L'IDEAL ou la notion
de narcissisme d'un groupe.
Dans les communautés comme celle du village de Rankin, pour qu'un groupe puisse se former et subsister, il faut que chacun de ses membres se conforme à un Idéal commun, il doit s'identifier au groupe. L'Idéalisation forme le moteur du processus d'identification au groupe. Il faut avoir une image conforme à l'Idéal et au narcissisme du groupe. Chacun doit donner une belle image de soi. "Que va-t-on penser de toi au village?" demande Amy à son mari Lyle. La famille a une réputation à tenir. Il faut être bien vu par le village.
Rankin a adopté un Idéal religieux.
L'Idéal social de Rankin tient son origine de la religion. A Rankin le village a adopté un Idéal et un narcissisme religieux. L'unicité du groupe se maintient grâce à ce système religieux. La religion a à sa disposition ce système psychologique universel et complet que forment les rites de purification, de sacrifice et de communion. Le point commun d'identification du groupe religieux devient Dieu (et non le Moi groupal). Dieu est un lieu commun de projection du narcissisme individuel d'un groupe. Il forme un Moi complètement Narcissique et Virtuel et non réel comme dans le Moi groupal représenté par un vrai chef.
Le SURMOI. Les lois du
groupe.
Les interdits marquent les limites de la conformité à ce narcissisme. "Tu as le droit d'aller jusque là! Au-delà c'est interdit!" Le Surmoi forme cette pression extérieure de la Loi qui dit que ceci est bon ou cela est mauvais. Les auteurs du film décrivent ainsi cette pression du village sur Lyle :" Au bar de Rankin, Lyle danse seul sur un air de country local. Juliette veut danser avec lui. Lyle est réticent, il a peur du regard pesant des fermiers du coin, assis devant leur bière, droits dans leurs bottes, ancrés dans leurs certitudes puritaines". Ce ne sera qu'après avoir fait l'amour avec elle que Lyle décide d'affronter ce puissant Surmoi et de vivre sa sexualité sans se cacher du village. L'état amoureux se moque bien des limites que veulent imposer le Surmoi et l'Idéal!
Quelle est l'évolution
de l'Idéal et du Surmoi dans un groupe plus évolué?
L'Idéal et le Surmoi font partie de l'organisation de groupe Rankinoise. Mais, dans une société plus évoluée, l'idéalisation se transforme en toutes sortes de projets d'avenir ou de travail ou artistiques communs. Le Surmoi devient une simple structure ou une bonne organisation ou encore une bonne loi. Dans les groupes moins évolués, l'Idéal se traduit par des idéologies en tout genre tandis que le Surmoi se traduit par des pressions extérieures à l'individu, régies par la peur du juge ou du gendarme, par la morale, par des hiérarchies trop fortes ou par d'innombrables interdits. Plus une société est évoluée moins il y a d'Idéalisation et moins il y a de Surmoi. A l'adolescence, l'individu évolué devient à lui-même son propre Idéal et son propre Surmoi, à la condition, toutefois, qu'il les ait intégrés. Il est à lui-même sa foi et sa loi… Normalement les Moulins à Vent de Don Quichotte ainsi que la peur du gendarme disparaissent avec l'âge adulte…
Les Leaders représentent le Surmoi et
l'Idéal.
Les groupes ont besoin de leaders. A Rankin, les gardiens de la conformité morale sont au nombre de deux. Le premier, un policier, shérif du village (ou des juges en tout genre), représente le Surmoi. Il surveille et met la pression sur tous les environs. Sa vigilance concerne l'interdit et la "mauvaise sexualité" fait partie de ses prérogatives. La loi doit être respectée. L'autre (Frank) représente l'Idéal. Un curé aurait pu tenir ce rôle ; ou un prophète ou un devin... C'est lui qui dicte ce qui est beau et bon pour la communauté. C'est lui qui définit l'avenir du groupe social. Lorsque la sexualité désordonnée de Lyle et de la parisienne de passage met à mal la morale du village, il fait comprendre à Lyle que lorsqu'il "aura fini ses cochonneries avec cette fille, il lui faudra se remettre dans le droit chemin" et reprendre une vie conforme à l'Idéal villageois.
1 La conformité et la pureté du
narcissisme. La
purification.
Tout ce qui est étranger au groupe est mauvais pour son unicité. A Rankin on se méfie de la jeune Française libertine. Elle n'est pas intégrable au village. Etre étranger signifie que le jeu d'identification au groupe ne s'est pas encore fait et pose la question de l'intégration. Ce jeu de l'unicité narcissique contre ce qui ne lui est pas intégrable est à l'origine de tous les intégrismes, de tous les racismes et de … beaucoup de guerres ! C'est vers 6-7 mois que l'enfant cimente l'intégrisme de son Moi. Durant cette période, il a peur des visages qui lui sont étrangers. Il a peur qu'un élément étranger ne vienne entacher son image ou perturber l'unité et l'intégrité de son Moi. L'enfant qui n'a pas bien fait l'unité de son Moi gardera la peur de l'étranger et cela peut aller jusqu'au racisme. C’est à l’adolescence que le jeune s’intègre à la société essentiellement par le travail.
Tout ce qui
pourrait porter atteinte au narcissisme du
groupe, salit l'image proposée
par le groupe et doit être purifié et évacué. Il y a le bon et le
mauvais narcissisme. Le mauvais narcissisme consiste à être
totalement pur et parfait. La pureté du sang, la pureté de la
race, la pureté sexuelle font partie de ce mauvais narcissisme qui
prône la pureté en tout genre. Une sexualité non conforme est
impure. Il ne faut pas salir la communauté…Tout ce qui est non
conforme ou impur doit être purifié.
2 La notion d'évacuation (ou de
projection) sur le bouc émissaire. Le sacrifice.
Le mauvais narcissisme, les mauvaises images du groupe et les mauvaises pulsions (la culpabilité) ont besoin d'être évacués puis projetés sur quelqu'un d'autre, sur un autre groupe ou sur un symbole. C'est pourquoi les communautés comme celle de Rankin ont besoin du rite du sacrifice. A la fin du film Lyle sera mis à mort pour avoir commis l'adultère avec une étrangère. Il a Sali la communauté. Il servira de bouc émissaire. On projette sur le bouc émissaire ce qui reste de sale après la purification et on le sacrifie. Chargé du péché, de la faute et du mal, il sera sacrifié. Ainsi disparaît le mal, l'antinarcissisme. Le sacrifice permet ainsi de se débarrasser de ce qui est impur et sale. Il sert aussi à défaire ou à réparer les culpabilités (la castration) par une espèce d'annulation de la faute ou de la tache. Le sacrifice satisfait alors le Surmoi en annulant la culpabilité. Le sacrifice du Christ ou le sacrifice des juifs de la Choa relève des mêmes processus de purification.
3 La notion d'introjection. La communion.
Lorsque le narcissisme du groupe est rétabli par le sacrifice, la communauté conforte son unicité par la communion. La communion a pour but de maintenir l'identité et la cohésion sociale et narcissique du groupe. On introjecte (= on mange) l'identité. On partage, comme le vin (symbole du sang) et le pain quotidien (symbole du corps), le narcissisme du groupe. L'introjection sert à unir le narcissisme et les pulsions orales. On met en soi ce qui a été purifié. La communion sert à nier l'individualité en sorte que chacun se fonde dans le groupe. Tous les grands rassemblements de très grandes foules procèdent de ces processus d'identification de la masse à une star ou autre personne à la représentation complètement narcissique virtuelle. D'ailleurs le besoin de rassemblement et de fusion de très grandes foules est une des caractéristiques des sociétés non individualisées.
La communion ou la vie communautaire est omniprésente à Rankin. Tout se passe sur la place publique. Tout le monde sait ce qui se passe dans chaque famille, jusqu'aux détails les plus intimes de la vie sexuelle et tout le monde sait qui fait l’amour avec qui. La prière à table, avant le repas, fait partie de ces rites de communion qui permettent de communier avec la communauté. On partage la boisson au bar. Chacun doit s'obliger d'aller aux rassemblements religieux de la messe (le mot messe signifie meeting). Dans le film les femmes rassemblées devant l'église jettent un regard de haine à Lyle qui va au travail au lieu d'aller à la messe.
Le narcissisme de Rankin est oral. On n'y supporte pas l'analité (c'est-à-dire la puissance individuelle) : tous les autres fermiers sont envieux de la puissance de Lyle riche propriétaire. On n'y supporte pas non plus la sexualité non liée à la maternité : les non conformes, tels les adultères ou les homosexuels par exemple, sont obligés de s'exiler.
Dans le film, on voit aussi comment la fête est l'aboutissement de la communion puisqu'elle commence par des agapes en commun sur la place du village. A Rankin, une des fêtes consiste à partager la citrouille et la pastèque. La citrouille qui lors de Halloween symbolise la communion aux morts, relie le village aux morts et le cimetière lui-même n'est pas entouré de murs comme si les morts communiaient, eux aussi, à la vie du village. Et si l'on va jusqu'au bout du fantasme, manger les morts aboutit à la réincarnation parce que manger la citrouille est aussi symbole du gros ventre de la grossesse. Et cela montre bien que la reproduction, la perpétuation de la race prévaut sur la sexualité. D'ailleurs à Rankin le jeu principal consiste à attacher une queue à un âne dessiné sur un mur par manière de moquerie de la sexualité.
C'est dans ces conditions, bien contrôlées, que la communauté autorise la danse. La danse constitue une forme d’amour rituel de groupe non sexuel qui ressemble à l’amour du bébé pour sa mère ou son père qui le bercent. Dans le meilleur des cas, elle sert de danse nuptiale préparatoire à une sexualité individuelle autorisée par le groupe.
Le Moi groupal ou l’identification à un groupe par toutes sortes de communions...
Lorsque la communion est assez évoluée, elle aboutit à former une espèce de Moi du groupe. L'unicité d'un groupe résulte du puzzle de narcissisme ( un morceau de miroir) que les membres du groupe mettent en commun et qui forme alors comme le Moi du groupe, l'identité du groupe. En d'autres termes, le groupe forme comme une famille élargie et projetée à l'extérieur dans la société, voire même dans le monde entier (comme c’est le cas des groupes du cac40 par exemple) ou dans le cosmos ou dans la nature (comme les religions animistes par exemple).
Les religions ou les idéologies ou la politique sont des outils de gestion, la pensée de ce Moi de groupe. La politique (et la démocratie) résulte d'une longue évolution de la société. La politique d'un groupe est la déléguée du Moi de ses individus (mais il est souhaitable qu'elle soit plus élevée que la moyenne du groupe!).
Notons ici que la notion d’équipe ou de groupe de travail ou d’organisation etc…sont des formes évoluées de communion. Par le travail on peut mettre le corps et sa puissance en commun.
La notion de Moi groupal est une
émanation, par évolution, du Soi et du Ça. Un peu de théorie…
Le Ca contient beaucoup de schèmes inscrits dans le corps. Freud parle du Ça, comme porteur, entre autres, de la notion d’espèce. L’espèce animale humaine est inscrite dans l’Adn du corps. Le Ça gère les pulsions de vie et les pulsions de mort. Dans les pulsions de vie est inscrit l’instinct de survie de l’espèce qui a généré cette notion de groupe qu’on pourrait, peut-être, appeler Ça groupal. L’espèce génère l’instinct de survie et le groupe animal est lui-même issu de cet instinct de survie. Par la suite, les animaux reconnaissent leur groupe parce qu’ils partagent le même aliment par une commune communion..
A un moment de l’évolution, cette inscription de l’appartenance corporelle à un groupe est projetée dans le miroir, dans cet écran qu’est le cerveau. Le Ça groupal devient virtuel et devient le Soi groupal. Le Soi du groupe est une espèce de miroir commun au groupe. Nos smartphones et autres écrans montrent bien qu’il existe un Soi groupal, un réseau qui se trouve dans la société et dans lequel chacun veut trouver sa place en y envoyant son selfie qui est un bout d’image de son miroir propre. Les médias donnent des images à une projection commune, à un miroir ou un écran commun.
Notons ici que le Surmoi et l’Idéal sont issus du Soi virtuel et sont extérieurs au Moi.
Lorsque le Soi groupal devient réel et devient l’identification à un groupe quel qu’il soit, on pourrait dire qu’il devient un Moi social. Les initiations se veulent de réaliser le passage à ce Moi social réel pour que l’adolescent puissent trouver sa place dans la vie sociale et au travail et dans la vie sexuelle.
Dans une société évoluée, le vrai chef représente le Moi groupal.
Après les sociétés sans chefs, il y a un ordre d'évolution des chefs. Le chef correspond à l’évolution de son groupe. En Égypte par exemple les chefs étaient d'abord, des astrologues (sous l'égide du Dieu Soleil, l'Idéal), des chamans (sous l'égide des dieux de la mort et du Surmoi) puis des prêtres, des pharaons (=des dieux incarnés puis des prêtres rois) et enfin des rois ou des chefs de plus en plus réels et de moins en moins tout-puissants ou idéalisés… Le peuple juif de l’Ancien Testament avait ses veaux d’or et ses prophètes étaient sur-Idéalisés. Ses représentants de la loi, comme Moïse et sa Table des Lois, représentaient un Surmoi avec une emprise encore toute puissante.
La forme des chefferies découle des organisations sociales. Un groupe pervers aura un chef de bande à sa tête. Une société trop surmoïque aura un tyran à sa tête. Une société trop Idéalisée ou trop Idéologique aura un fasciste à sa tête ou des religieux.
La notion de hiérarchie est d’abord issue de la notion de généalogie. Plus tard, la forme des hiérarchies et les divers représentants d’une société découlent de l'Idéal, du Surmoi ou du Moi groupal. Un simple président ne peut advenir que si l'Idéal et le Surmoi ont réduit leurs impérialismes! Soit dit en passant, plus un groupe est évolué moins il a besoin de hiérarchie rigide comme c’est le cas de beaucoup de groupes de travail. Une hiérarchie trop rigide résulte du sadisme du Surmoi qui a besoin d’emprise. La hiérarchie évoluée est remplacée par les niveaux de compétence des individus qui organisent les structures. Un groupe est très lié par l’évolution de ses individus. Le vrai chef est caractérisé par sa compétence.
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II
LE CONFLIT ENTRE VIE SOCIALE ET VIE INDIVIDUELLE dans Too Much Flesh..
Dans le genre de société que décrit Too Much Flesh, la vie individuelle n'a pas beaucoup le droit d'exister ou du moins elle doit être soumise à la loi du groupe. Par illusion, un groupe pas assez évolué peut former comme un Surmoi tout-puissant et éternel. A lui seul la puissance et la gloire! Mais, en réalité, plus les individus sont puissants et plus ils ont de narcissisme, plus la société est forte dans sa puissance et dans son image.
La puissance individuelle pourrait supplanter la puissance du groupe et de ce fait le groupe ne pourrait plus contrôler les individus. Lyle est propriétaire de presque toutes les terres du village. Le village a arrangé son mariage avec Amy pour que les autres paysans puissent avoir leur part. Mais cette puissance de Lyle lui vaut la haine des envieux du village parce qu'il prétend pouvoir faire ce qu'il veut sur ses terres. La lutte des classes n'est pas loin…
Cette économie sociale se sent aussi menacée par le plaisir individuel sexuel non conforme. La vie pulsionnelle doit être réservée au travail et non au plaisir narcissique (« Nur Arbeit macht Freude, der Mensch ist nul ! »disait Hitler). Au bar, on recommande à Lyle de travailler pour le bien du village plutôt que de s'occuper de ses plaisirs personnels. Juliette, son amante, d'ailleurs ne travaille pas. Sa vie c'est d'être amoureuse. Elle vit d'amour et de narcissisme. Lyle est séduit par ce mirage de ne pouvoir vivre que de sexe et d'air pur! Amy, sa femme, se rend compte du danger et elle veut l'empêcher d'aller badiner à l'étang. Elle lui demande de plutôt s'occuper de la moisson qui n'attend pas. Il y a conflit entre le sexe et le travail.
La vie individuelle, c'est avant tout la vie sexuelle. La sexualité individuelle, et surtout si elle veut être libre, est une menace pour le groupe. La vie amoureuse, c'est deux en un : 1+1=1. Dans le film, l'état amoureux donne progressivement à Lyle et à Juliette l'envie d'être à deux, indépendant de la société, d'où le courroux du village qui se sent provoqué… Le social, c'est au moins trois.
Comme
beaucoup de sociétés, ce genre de société se sent lésée et exclue
par l’individualité. C’est le cas de beaucoup de sociétés, les
pays communistes par exemple. Sur un tout autre mode, on a pu voir
un jeu de vie sociale et de vie individuelle lors du coronavirus.
Le gouvernement contrôlait la vie sociale par le Surmoi (la
police). La vie publique était interdite. Les individus étaient
confinés dans leur cocon parce que le virus était devenu
persécuteur (il voulait pénétrer dans le corps). La survie de
l’espèce était en jeu.
Le drame éclate à Rankin lorsque Lyle et Juliette commettent l'adultère. La société Rankinoise est subitement bouleversée dans son fonctionnement par le comportement sexuel peu conforme d'un de ses habitants. Le social est mis à mal par le sexuel et la lutte devient féroce.
L'adultère menace le schème social au plus fort. Nombreuses sont les sociétés dans lesquels le meurtre des amants fait parti des rites de sacrifices institutionnels parce que le schéma relationnel de la société est menacé (Roméo et Juliette par exemple). Cela provient du fait que la vie sociale, est sous-tendue elle aussi, par diverses formes oedipiennes issues de l’instinct animal et qui, si on n’y touche pas, permettent aux sociétés de trouve un certain équilibre.
Lyle n'est pas aimé par les gens de Rankin. Il n'était supporté que parce qu'il était le propriétaire de la plupart des terres et son mariage était arrangé en fonction de sa richesse. Lyle veut se libérer du modèle de sexualité en cours à Rankin. Depuis sa puberté, il souffre de devoir se conformer à la sexualité (ou plutôt à la non sexualité) ambiante qui ne correspond ni à son désir ni à son corps. De tous temps il y a eu un conflit entre la vie sociale du village et la vie individuelle de Lyle. Il est victime de la mauvaise réputation que le village lui a faite dans sa jeunesse en faisant courir le bruit d'une incapacité sexuelle. Dans son adolescence, une fille (Connie) avait faussement répandu la rumeur qu'il avait "Too Much Flesh" à son sexe, qu'il avait le sexe déformé par trop de viande et que de ce fait il était atteint d'incapacité. Depuis ce temps Lyle avait peur de sa sexualité et il doutait de lui-même. Cette expression "trop de viande" est typique d'une puberté qui s'est mal accomplie. Il est probable que le corps de Lyle ait eu du mal à trouver son identité sexuelle et qu'il ne faille pas, comme le fait le film, tout mettre sur le dos de Connie ou de Amy. Ce genre de traumatisme peut être l'aboutissement ou la cristallisation d'autres événements liés à la petite enfance de Lyle.
Quoi qu'il en soit, sa femme Amy l'avait épousé, croyant être tranquille du côté sexe. Elle se croyait protégée par cette soi-disant impuissance sexuelle. Elle était veuve et elle n'avait pas réussi à faire le deuil d'un état amoureux avec un premier mari dont la mort accidentelle lui avait laissé une blessure narcissique irréparable. Elle s'était entièrement renfermé dans cet autonarcissisme qui fait qu'on ne peut plus aimer que soi. A son grand regret d'ailleurs, elle vivait comme une vierge et n'avait plus aucun accès à la sexualité. La religion satisfaisait, aussi bien que possible, cet autonarcissisme.
Amy ne faisait plus l'amour avec Lyle mais pour être conforme au village pour qui l'important était la procréation, elle voulait que Lyle donne son sperme en vue d'une insémination artificielle. C'était une certaine façon d'avoir un enfant sans vrai père et sans passer par le sexe. Elle reproduisait ainsi le modèle de la Sainte Vierge qui s'est fait un enfant non par un homme sexué mais par le St Esprit (= un certain amour narcissique du Père, sans le corps). Elle ne peut désirer qu'un homme narcissique, à l'extrême à l'égal de Dieu. Dieu est alors l'expression du propre narcissisme de Amy, le narcissisme le plus primitif qui finalement se confond avec l'autonarcissisme. Elle veut faire l'amour sur le mode narcissique de la toute-puissance et de la pure pensée. De la sorte l'enfant ne lui viendrait que d'elle-même ou d’un Père Noël imaginaire..
Normalement c'est à l'adolescence, que le prince charmant, l'amant de jouissance, vient réveiller la Belle au Bois Dormant de sa léthargie. C'est lui qui fait évoluer l'autonarcissisme des jeunes filles vers un narcissisme plus évolué et plus ouvert à l'extérieur. De même les garçons ont aussi besoin d'une initiatrice pour faire évoluer leur autoérotisme.
Son mariage non consommé avait conduit Lyle à prolonger sa sexualité d'adolescence. Il se rendait dans ses champs de maïs. En bon paysan, il s'y masturbait dans un amour bucolique avec la Mère Nature. Comme les dieux de l'antiquité, il fécondait la Terre avec sa semence. Les premières éjaculations de la fin de la puberté du jeune garçon sont toujours inconsciemment dédiées à sa mère. La Mère Nature en est une des premières expressions comme dans toutes ces mythologies animistes où le Ciel fait l'amour avec la Terre pendant l'orage ou encore comme celles de ces Géants qui labourent les vallées.
Plus tard, chez le garçon, les images maternelles seront remplacées par la propre image féminine du garçon. C'est une façon de faire l'amour avec soi-même, à l'intérieur de soi, entre sa propre image masculine et féminine. Quelque part, les masturbations de la puberté réalisent l'Œdipe, sous la forme d’un désir incestueux du garçon pour sa mère. Quand les filles réelles remplaceront cette image féminine interne, le garçon investira l'hétérosexualité.
Un jeu d’images se passe entre Lyle et Juliette. Ce genre de première rencontre amoureuse déclenche une modification importante des images et des identités, notamment au niveau du groupe d'amis. Dès leur première rencontre, il se fait un jeu d'images entre la copine de Vernon et Lyle comme si Juliette était l'image féminine de Vernon et comme si Lyle était amoureux de l’image féminine de Vernon. Ce jeu d'image est fréquent chez les garçons qui, par exemple, peuvent être attirés par la sœur du copain ou par la copine de la sœur, confondant ainsi la sœur avec l'image féminine du copain ou de la sœur. Dans l’amour d’enfance, les garçons ont besoin de renforcer leur image masculine par le miroir d’un copain et les filles d’une autre fille. Il ne s’agit pas d’homosexualité mais de recherche d’une nouvelle identité.
A ce moment du film, de beaux jeux de miroir se déroulent aux bords d’un étang. Juliette demande à Amy de venir batifoler avec eux et de ne pas la laisser seule avec les deux garçons, Lyle et Vernon. A quatre, elle se serait sentie plus en sécurité et le jeu d'images aurait été plus complet. Mais Amy refuse. Elle a peur. Elle sait que les jeux de miroir des Sirènes sont dangereux et elle rappelle à Lyle que récemment, une amante Leur a été sacrifiée en se noyant dans Leurs eaux. L'étang sert de miroir. Ce sont d'abord les deux garçons qui s'y baignent, en souvenir sans doute de leur adolescence.
Plus loin dans le film, Lyle et Juliette veulent initier le jeune Bert. Avant de faire l'amour à trois, ils viendront se baigner dans les eaux pures de l'étang et ils s'y entrelaceront à trois comme dans un miroir de trinité narcissique. Plus tard encore, Amy et Vernon seront remplacés par Bert et sa copine et ils danseront à quatre.
Normalement c'est à l'adolescence que le groupe d'adolescence (petit ou grand) favorise ce jeu à plusieurs. Il assure l'unité des images et des pulsions pendant la période pendant laquelle l'adolescent fait la transition entre la famille et le couple. La famille est projetée sur le groupe. Ainsi l'adolescent ne se sent pas seul dans la société après avoir quitté sa famille. A la fin de l'adolescence, il lui faudra aussi abandonner le groupe d’amis pour ne faire place qu’à l’image du couple dans le miroir.
A la fin, Lyle et Juliette tenteront de former un couple à deux, au moins le temps de faire l'amour. Pour faire un couple, chacun des partenaires doit avoir intégré sa propre image qui est celle de son corps… Dans un premier temps, il faut transformer l'autonarcissisme, opérer la perte de la virginité ou encore évacuer le veuvage (ce qu'Amy ne peut pas réaliser). Puis dans un deuxième temps, il faut faire l'unité du puzzle des images morcelées… La difficulté pour Lyle est d'arriver à passer de l'ancienne forme d'autonarcissisme et d'autoérotisme de son ancien couple à une forme plus évoluée de narcissisme et de sexualité à deux dans lesquels l'autre (= l'objet d'amour) est pris en compte. C'est ce passage précis qu'on appelle initiatique. Former un couple consiste à passer de l'autonarcissisme et de l’autoérotisme à un narcissisme et à un érotisme à deux. Au lieu de s’aimer tout seul, on aime l’autre en soi. Ce passage réalise un réel changement de système psy par lequel on enterre la vie de célibataire pour passer à la vie de couple…
Le rôle des yeux est important dans la séduction par l'image parce que ce sont eux qui permettent les jeux de miroir. Mais, dans l'histoire de Too Much Flesh, il n'y a pas beaucoup de séduction. Le jeu du regard n'est pas très important parce que Lyle n'est pas totalement amoureux de Juliette. Au début, leur désir était surtout mu par l'attirance du corps en manque et ils avaient, avant tout en commun leur frustration et une revanche à prendre.
Le Moi qui se regarde dans le miroir doit être clair et doit briller. Le narcissisme résulte du miroir (le cerveau) qui brille C’est lorsque le miroir brille que se déclenchent les hormones qui font naître le désir dans le corps. Dans l'amour, le miroir ne peut intégrer que deux images de polarité opposée. L'identité doit être sûre pour ne pas se perdre dans ce miroir. Le désir peut, alors et alors seulement, trouver son bonheur et son narcissisme à intégrer l'image du corps du sexe opposé qui le polarise. Mais, dans la tête de Lyle et de Juliette, les images ne sont pas bien claires. Dans la sexualité de Lyle, s'entremêlent polygamie, homosexualité, échangisme. Les images masculines et féminines se mélangent et ne sont pas très claires. Il aime, par exemple, se faire caresser les seins et l'aine, pour satisfaire ses fantasmes de féminité. Ils ont du mal à quitter le jeu d'image à quatre ou à trois de même que leur homosexualité latente. Et Lyle n’a pas quitté sa femme… Toutes ces images se mélangent et se superposent dans leur acte d'amour. A cela s’ajoute même les images de ses ancêtres morts. Normalement les images de la scène parentale servent de modèle. Or le papi et les parents de Lyle qu’ils vont visiter au cimetière sont décédés. Les images des morts sont ternes et elles gênent le jeu du miroir qui doit briller de narcissisme.
Finalement il faut faire le passage du groupe d’amis au couple à deux. C’est à ce moment que les violences et les haines se déclenchent dans Rankin contre ce groupe qui cherche à s’émanciper. Dans le film, « la mort s’abat sur la ville » comme en une prémonition de l’échec final de ce jeu d’images narcissiques. La fin du film montre comment les désirs de passages initiatiques échouent. Le shérif-surmoi en tête, les hommes du village poursuivent Lyle et l’assassine dans son champ de maïs, sur son propre territoire.
Ainsi échoue l’Œdipe de Lyle qui se retourne contre celui qui l’a initié. Dans ce film s’affrontent deux formes d’Œdipe. Celui de Rankin contre celui de Lyle. L’Œdipe de Rankin s’exprime ainsi : il faut tuer, sacrifier, le fils pour qu’il ne commette pas l’adultère à l’encontre de la Mère Sociale. Celui de Lyle consiste à tuer le Père, c'est-à-dire s’identifier à lui, pour coucher avec les femmes.
Faire l’amour consiste en un échange de vie. Plusieurs fois, avant de se rendre dans leur champ d’amour, Lyle et Juliette plongent dans l’eau de l’étang comme en un retour symbolique dans le liquide amniotique du ventre maternel.
Mais le rituel lié au sacrifice fait le jeu des pulsions de mort. Il sert à déplacer la castration. On projette sur le bouc émissaire ce qui reste de sale après la purification et on le sacrifie. Le sacrifice est censé annuler les pulsions de mort et la culpabilité.
Normalement,
la sexualité fait en sorte que les pulsions de vie, l'envie de
vivre, prennent le dessus sur les pulsions de mort mais Lyle n'y
parviendra pas.
Too Much Flesh a été tourné dans l’Illinois aux États Unis à une époque peu éloignée de l'affaire du Président Clinton qui a été contraint par les juges de demander pardon à un évêque et au pays pour avoir aimé les femmes d'une manière non conforme. Ce film dépeint la religiosité de l’Amérique profonde, celle qui a fait émergence lors des élections de G.W.Busch.
Too Much Flesh a une certaine analogie avec le film que Clint Eastwood a tourné dans l’état voisin de l’Iowa, dans un village qui ressemble à Rankin : « Sur la route de Madison »
Il ressemble aussi à West Side Story qui décrit lui aussi un passage initiatique d'un jeune couple qui veut faire sa vie sexuelle dans la grande Société américaine.
Ce film ressemble encore au Docteur Jivago qui
peint admirablement la confrontation entre la
société révolutionnaire Russe et la vie
individuelle sexuelle de Jivago et
de Lara. Le Dr Jivago montre
bien que dans une société étatisée la vie
individuelle et amoureuse n'a aucun droit. Et Too
Much Flesh pourrait tout aussi bien décrire une
initiation ethnologique de certaines sociétés
africaines qui veulent à tout prix contrôler
l'entrée dans la société par l'initiation de ses
adolescents ou par la circoncision ou l'excision
ou autres rituels...